Mes visites de courtoisie chez les anciens du village ont repris doucement. Vous avez dit : « panne », « décrochage « , « confinement », « déconfinement » ?
Chez Pauline, le portail est toujours ouvert, du matin au soir. Sa façon à elle, de dire « Entrez, je vous en prie ». Pauline ferme à clef chaque soir la grande barrière métallique afin de se sentir « tranquille chez elle ». Une barrière qui lui semble de plus en plus lourde à ouvrir et fermer au fil des années. Rituellement, le matin elle « ouvre sa cour », invitation à la visite.
Je ralentis toujours avant d’emprunter l’ornière qui s’est formée au fil du temps sur le tapis de gravier. Je contourne le puits par la gauche avant de me garer devant la porte d’entrée de l’ancienne ferme. Mon deux-roues stationne à l’endroit parfait, sur le pavé en ciment de la galerie (l’hetai) qui longe la maison.
Je frappe trois petits coups à la porte comme d’habitude, elle s’ouvre de suite. Pauline a reconnu le bruit du scooter. Une odeur de café règne dans la pièce à vivre. Je tire la chaise en bois clair pour m’asseoir sans y être invitée, l’habitude aussi. C’est le début d’une conversation de salon. Le calendrier mural affiche la date et le Saint du jour. Ce soir, la vieille femme notera le passage de la conteuse. Afin de ne pas oublier les noms, les dates, les heures des visites… Pauline est anxieuse, elle a toujours peur d’oublier quelque chose. Elle vient d’apprendre que le pont de Gênes a été reconstruit. Elle ne sait plus trop quand il s’est écroulé. Il y a un an, deux ans ? « Une catastrophe comme celle-la, je devrais m’en rappeler ! » Dit-elle, désolée.
Une petite histoire me traverse l’esprit, je fais diversion.
« Aujourd’hui, plus de sept siècles après sa construction, le pont de près de 1000 mètres qui relie Gard et Vaucluse est toujours debout à Pont-Saint-Esprit en Occitanie. D’après une légende qui est née durant la construction : le Saint Esprit aurait pris l’apparence d’un treizième ouvrier venu aider les douze compagnons présents sur le chantier, si bien qu’il fut décidé de donner son nom au pont, puis à la ville : Pont-Saint-Esprit. Une technique très particulière de construction du pont a livré son secret de solidité. Le pont d’Avignon qui ne détenait pas ce secret a fini par céder (des claveaux du pont liés incorrectement ) ! »
Le café est servi. La vieille dame se met à chanter : Sur le pont d’Avignon, l’on y danse, l’on y danse…. Elle a donné l’élan. Nous chantons ensemble.
Je ne me souviens plus des couplets. J’invente des métiers… Pauline s’en rappelle et se revoit enfant dans la cour de l’école ! Comme quoi, la mémoire n’est pas seulement une question d’âge.
Si j’ai songé au Pont-Saint-Esprit, c’est que Frédéric Mistral écrivain, a nommé le pont de cette charmante manière : Porte d’or de la terre d’amour.
Sources des photos : https://www.tripadvisor.fr - https://www.objectifgard.com

